LOI DE CRÉATION

ou

AUTOGÉNIE DE LA RÉALITÉ

     

Dans la Propédeutique de la Réforme de la Philosophie, que nous avons produite avant cet ouvrage, les caractères du savoir suprême, son but et ses moyens, ses objets et ses facultés, en un mot, toutes les conditions de la philosophie sont rigoureusement fixées. Nous y découvrons que l’absolu lui-même, ce principe inconditionnel des choses, est l’idéal du savoir suprême ; et par conséquent que, d’une part, l’autothésie du monde, ou son établissement propre, et de l’autre, l’autogénie de la réalité, ou sa génération spontanée, sont les deux objets principaux de la philosophie. Nous y découvrons, en même temps, qu’il doit exister une loi de création, par laquelle tout subsiste et tout s’engendre dans l’Univers, c’est-à-dire, par laquelle seule a lieu cette autothésie du monde et cette autogénie de toute réalité. Nous y découvrons, de plus, que cette loi suprême, qu’il faut dévoiler pour pouvoir enfin accomplir la philosophie, dérive de l’essence même de l’absolu, ou plutôt qu’elle n’est rien autre que la détermination propre de cette sublime essence. Nous y découvrons enfin, que les facultés supérieures qui sont requises pour réaliser de si hautes conceptions, existent dans l’homme, par le fait même de ce que ces conceptions elles-mêmes sont déjà l’ouvrage de sa propre raison. Nous pouvons donc, avec sécurité nous livrer enfin à résoudre ces grands problèmes de l’humanité, desquels dépendent incontestablement toutes nos destinées. Mais, ce qui est plus, la première moitié de ces problèmes, c’est-à-dire, l’autothésie du monde, qui est l’objet spécial de la philosophie chrématique, se trouve déjà complètement résolue. En effet, ce que nous avons produit, dans la première partie des Prolégomènes du Messianisme, sous le titre d’Encyclopédie absolue ou de Philosophie chrématique (De cet important ouvrage, il n’a été publié qu’une partie, sous ce titre : Le destin de la France, de l’Allemagne et de la Russie, comme Prolégomènes du Messianisme. [Paris, 15 août 1842 à 1843]. Ainsi, tout ce qui est annoncé ici, fait encore partie des manuscrits inédits de Hoëné Wronski. - Note de Mlle B.C.), n’est rien autre que cette grande autothésie du monde, toute développée, comme nous l’avons déjà annoncé dans le Discours préliminaire. Nous voyons effectivement, dans cette Encyclopédie absolue, la série tout entière des conditions régressives qui servent, dans un ordre continu, à fonder ou à établir, les unes par les autres, toutes les parties constituantes de l’univers, en partant des dernières individualités, qui nous sont données par l’expérience, et en remontant ainsi de condition en condition, jusqu’au principe inconditionnel des choses, à l’absolu lui-même, cette base de l’autothésie ou de l’établissement propre du monde. Et, dans ce développement autothétique de l’univers, nous n’avons suivi aucune autre direction que celle de la loi de création elle-même, qui, comme nous venons de le rappeler, est la détermination propre de l’essence même de l’absolu ; de sorte que cette grande régression constitue effectivement, dans toutes ses branches, une subordination absolue de conditions, et forme ainsi, en toute rigueur, la véritable autothésie du monde. Pour accomplir cette infaillible autothésie, il ne reste plus qu’à connaître, d’une part, l’essence de l’absolu, qui est la base première à laquelle aboutit cette subordination régressive de conditions, et de l’autre, la loi de création, qui est la détermination propre de cette essence, et qui partout règle ou plutôt établit elle-même cette vaste subordination autothétique. – Or, cette double connaissance appartient déjà à la philosophie achrématique, ou à la philosophie absolue strictement dite, qui forme l’autre moitié des problèmes du savoir suprême, celle qu’il nous reste à résoudre, c’est-à-dire, l’Autogénie de la réalité ; car, tel est le caractère de l’absolu, et le caractère de sa détermination propre qui constitue la loi de création. – C’est donc cette autogénie de toute réalité que nous allons aborder, pour établir péremptoirement la philosophie, et poser, par-là même, une base inébranlable à une future réforme définitive des sciences.

Mais, osons l’avouer, une profonde répugnance, que nous ne pouvons surmonter par la raison la plus sévère, nous empêche de dévoiler ici publiquement l’essence même de l’absolu. Par égard pour les hommes, nous nous abstiendrons de qualifier cet ordre de choses qui, hélas, dans l’état actuel de l’humanité, nous repousse si violemment. – D’ailleurs, nous ne faisons ici qu’obéir aux intentions du Créateur, qui a caché si profondément ce principe inconditionnel de l’univers, afin de laisser à l’homme le triomphe de le découvrir, parce que c’est précisément par cette découverte que l’humanité doit elle-même, opérer sa création absolue. Heureusement, la détermination propre de l’essence de l’absolu, qui constitue la loi de création, et qui nécessairement laisse transpirer avec clarté, cette sublime essence elle-même, suffit pour établir péremptoirement le savoir suprême ou la philosophie, et pour mettre ainsi les hommes sur la voie d’accomplir eux-mêmes cette haute découverte qui est le but de leur existence. – C’est là l’unique tâche que nous pouvons et que nous devons nous proposer ; et c’est cette tâche, décisive pour l’humanité, que nous allons remplir. Avant tout, observons qu’actuellement qu’il s’agit de l’autogénie de la réalité, ou de sa création propre, rien ne nous est donné dans l’univers. La raison seule, et surtout la raison absolue, qui franchit les bornes du monde réel ou créé, et qui se révèle ainsi à elle-même son intime connexion avec l’essence de l’absolu, ou avec l’autogénie de toute réalité, est là pour nous guider à la dévoiler, ou plutôt pour créer elle-même cette inconcevable autogénie de la réalité. Or, par le moyen de cette faculté toute puissante, nous découvrons d’abord, l’infaillible réalité de l’absolu, qui est la condition de toute réalité en général, et par conséquent, la condition de la raison elle-même. – Rien ne saurait contester cette fondamentale réalité de l’absolu ; car, tout argument qui oserait l’entreprendre, pour être vrai serait réel lui-même ; et, comment, avec sa propre réalité, pourrait-il nier la source de toute réalité ? Bien plus, la réalité elle-même de l’absolu ne saurait s’atteindre pour s’anéantir ; car, ce prétendu anéantissement, pour être vrai, et par conséquent réel, laisserait précisément subsister la réalité. Mais, ce n’est pas seulement comme un fait incontestable que nous pouvons établir ici la réalité de l’absolu : nous pouvons, de plus, reconnaître déjà sa nécessité indispensable, comme condition même de la raison, sans laquelle cette faculté créatrice serait frappée de néant, et sans laquelle, par conséquent, toutes ses assertions quelconques, en y comprenant même celle qui prétendrait le contraire, n’auraient plus aucune réalité. – En effet, la tendance infinie de la raison, l’éternel pourquoi, qui demande à toute chose sa condition, et à toute condition sa condition ultérieure, à l’indéfini, implique manifestement la nécessité de l’existence de l’absolu, c’est-à-dire, la nécessité de sa réalité ; car, sans cette existence ou réalité nécessaire, le pourquoi, cet intime attribut de la raison, cette sublime manifestation de l’essence de l’univers, serait un pur non-sens, parce que le terme du pourquoi, qui seul peut lui donner une signification, et qui est ainsi la condition de la propre réalité de la raison, ce terme indispensable, disons-nous, ne peut être conçu, moyennant ce même pourquoi, ailleurs que dans l’existence nécessaire de ce qui est par soi-même, ou sans pourquoi ultérieur ; c’est-à-dire, dans la nécessité de la réalité de l’absolu. Si l’on voulait échapper à cette inévitable nécessité de l’existence de l’absolu, en disant, par exemple, comme l’a fait Kant, que le pourquoi, cet intime attribut de la raison, ne doit être employé que régulativement, d’après les conditions du temps sous lesquelles a lieu l’intelligence humaine ; c’est-à-dire qu’en vertu de cet attribut de la raison, l’homme doit bien demander à toute chose sa condition, et à toute condition connue, sa condition ultérieure, et de même successivement, aussi loin qu’il pourra étendre cette chaîne de conditions, mais qu’il ne doit pas et qu’il ne peut pas, sans s’égarer, franchir tous les chaînons de cette chaîne indéfinie, pour chercher son terme absolu ; nous ferions remarquer que, de cette manière, en n’envisageant la raison qu’objectivement, dans l’autothésie du monde, et méconnaissant sa faculté créatrice, dans l’autogénie de la réalité, le terme du pourquoi, qui est incontestablement la condition de la propre réalité de cet intime attribut de la raison, serait rendu tout à fait impossible, et la raison elle-même serait, par ce défaut de condition, la chose du monde la plus déraisonnable, parce que toute chose aurait des conditions, du moins limitées, et la raison, qui requiert ces conditions, n’en aurait pas du tout. Ainsi, pour soutenir la raison dans sa propre réalité, cet argument de Kant, s’il était vrai dans toutes ses parties constituantes, et nommément si, dans l’autothésie du monde la chaîne des conditions était effectivement indéfinie, cet argument, disons-nous, pour laisser subsister la réalité de la raison, ne ferait que nous forcer à reconnaître la faculté créatrice elle-même de la raison, cette condition de l’autogénie de la réalité, par laquelle seule pourrait alors être sauvée cette déraisonnable autothésie du monde, en ce que, créant la réalité de l’absolu, et créant de plus les dérivations qui en résultent, la raison pourrait, avant même qu’elle eût atteint, sur cette voie créatrice ou progressive, la limite à laquelle elle serait parvenue dans la voie autothétique ou régressive, elle pourrait, remarquez-le bien, concevoir cette incomplète autothésie dans toute son étendue ultérieure, jusqu’à son terme absolu, qu’elle se serait créé, et qui serait la condition de sa propre réalité. Mais, même à cet égard, l’argument de Kant n’a pas de valeur ; car, nous prouvons par le fait, dans notre Encyclopédie absolue, constituant la philosophie chrématique, dont l’objet spécial est précisément l’autothésie du monde, nous y prouvons, disons-nous, que la chaîne des conditions, qui forme cette autothésie, n’est nullement indéfinie, et que la raison de l’homme peut, d’une manière complète, embrasser cette chaîne tout entière, en partant des dernières individualités qui nous sont données dans le monde, et en remontant, de condition en condition, jusqu’à leur principe inconditionnel, c’est-à-dire, à l’identité primitive du savoir et de l’être, qui est le terme absolu de cette régression autothétique, et par conséquent, la base première de l’autothésie du monde, dans laquelle doit se trouver la réalité de l'absolu, que nous atteignons ainsi par le fait. Il en serait de même de tout autre argument qui voudrait attenter à l’existence ou à la réalité de l’absolu : tous ces arguments, loin de pouvoir nier cette indispensable réalité, ne feraient que l’attester indirectement. En effet, tous ces arguments, pour être conformes à la raison, admettraient nécessairement, d’une manière explicite, ou du moins d’une manière implicite, le pourquoi, cet attribut essentiel de la raison ; et par conséquent, d’après la déduction que nous avons donnée par une véritable autogénie, de la nécessité de l’existence de l’absolu, en nous fondant précisément sur cet attribut de la raison, sur le pourquoi créateur (Voyez les Prolégomènes du Messianisme publiés, pages 55 à 58), d’après cette déduction irréfragable, disons-nous, tous ces prétendus arguments, qui seraient forcés d’avouer la raison, et avec elle, le pourquoi, son attribut caractéristique, ne serviraient qu’à constater cette nécessaire réalité de l’absolu à laquelle ils voudraient attenter.

Ainsi, la réalité de l’absolu, la réalité en elle-même, ou la réalité en général, est incontestablement la première détermination de l’essence même de l’absolu, et par conséquent le principe premier de la raison, sans lequel, comme condition indispensable, ainsi que nous venons de le reconnaître, toutes ses assertions quelconques n’auraient aucune valeur. Et c’est sur ce principe fondamental de la raison, sur cette condition indestructible et indispensable à tous égards, que nous allons établir, avec la même infaillibilité, la philosophie absolue elle-même. D’abord, cette réalité de l’absolu, que nous venons de reconnaître si profondément, se produit ou se crée elle-même ; car, comme nous l’avons déjà arrêté irrévocablement, l’absolu, ce terme indispensable de la raison, est ce qui est par soi-même. Ainsi, cette génération propre, cette autogénie de la réalité de l’absolu, cette création par soi-même, est manifestement une deuxième détermination de l’essence même de l’absolu ; et la condition par laquelle seule peut avoir lieu cette deuxième détermination, constitue, tout aussi manifestement, et dans toute sa pureté primitive, la faculté que l’on désigne du nom de savoir. Nous découvrons donc, comme deuxième attribut essentiel de l’absolu, le savoir, cette faculté primordiale qui est la condition de toute création, ou plutôt qui est la faculté créatrice elle-même, et qui, dans sa plus haute puissance, où nous venons de la reconnaître, est, si on peut le dire ainsi, l’instrument de l’autogénie, c’est-à-dire, la faculté de la création par soi-même. Et par conséquent, nous découvrons, dans le savoir, porté à cette plus haute puissance créatrice, le deuxième principe de la raison, tout aussi infaillible que l’absolu lui-même, dont nous venons de le déduire. Ensuite, considérant que, dans la réalité de l’absolu, le résultat nécessaire de son savoir ou de sa création propre, est une fixité permanente, parce que, précisément à cause qu’il est par soi-même, l’absolu ne saurait être autrement qu’il est, on concevra que cette fixité permanente dans la réalité de l’absolu, qui est proprement son autothésie, constitue une troisième détermination de l’essence même de l’absolu. Et l’on reconnaîtra facilement que cette fixité, cette permanente invariabilité, cette inaltérabilité propre, n’est rien autre que cette condition de la réalité que nous désignons du nom d’être. Ainsi, nous découvrons, comme troisième attribut essentiel de l’absolu, l’être, cette condition de la fixité dans la réalité, et par conséquent de sa force, ou de son inaltérabilité propre, laquelle, dans l’absolu, constitue son autothésie elle-même. Et par conséquent, nous découvrons, dans l’être, considéré jusque dans son origine autothétique, le troisième principe de la raison, tout aussi infaillible que l’absolu lui-même, dont nous l’avons déduit. Nous possédons ainsi déjà les trois principes premiers de la raison, qui, comme nous venons de le voir, sont les trois premières déterminations de l’essence même de l’absolu. De plus, si l’on remarque, d’une part, que le savoir et l’être, en les prenant dans toute leur généralité, sont opposés l’un à l’autre, comme sont opposées l’autogénie et l’autothésie, dont ils constituent les conditions, ou comme le sont la spontanéité et l’inertie, qui forment leurs caractères ; et si l’on remarque, de l’autre part, que le savoir et l’être, ces conditions opposées, se trouvent toujours neutralisés dans toute réalité en général, qui, d’après la déduction que nous en avons donnée, est le principe fondamental de la raison, sa base primitive ; on concevra que ces trois principes que nous venons de découvrir dans les déterminations de l’essence même de l’absolu, sont proprement les trois principes primitifs du savoir suprême ou de la philosophie. Ainsi, étant déjà munis de ces principes primitifs, auxquels tout se ramène nécessairement, nous pourrons, avec plus de facilité, reconnaître les autres déterminations primordiales de l’essence même de l’absolu, qui doivent nous fournir ici l’ensemble des principes de la raison. En effet, si ce sont là réellement les trois principes primitifs, comme nous venons de nous en assurer, les autres déterminations essentielles de l’absolu ne sauraient être que les résultats d’une dérivation de ces principes primitifs, ou de leur combinaison systématique, ou de leur forme, ou enfin, de leur action créatrice, comme nous allons le voir, en commençant ici par celles de ces déterminations ultérieures qui dérivent immédiatement de ces trois principes primitifs que nous avons déjà fixés. D’abord, la réalité, prise dans toute son indispensable nécessité primitive, que nous lui avons reconnue plus haut, étant appliquée au savoir lui-même, en prenant ce dernier dans toute l’inconditionnalité que nous lui avons reconnue également, produit, dans cette détermination du savoir, qui, d’après la neutralisation susdite ayant lieu dans la réalité, n’est alors rien autre qu’une détermination du savoir par l’être, produit, disons-nous, une nouvelle et quatrième détermination de l’essence même de l’absolu, laquelle, comme réalité du savoir, établit ce que l’on nomme le vrai. Ainsi, cette nouvelle détermination de l’absolu, qui dérive immédiatement de la réalité appliquée au savoir lui-même, et qui constitue le vrai, est le quatrième principe de la raison, doué toujours d’une infaillibilité absolue. Ensuite, la même réalité, prise de nouveau dans toute son indispensable nécessité primitive, telle que nous l’avons reconnue plus haut, étant appliquée à l’être lui-même, en prenant ce dernier, à son tour, dans toute la conditionnalité que nous lui avons reconnue, produit, dans cette détermination de l’être, qui, d’après la même neutralisation susdite ayant lieu dans la réalité, n’est rien autre qu’une détermination de l’être par le savoir, produit, disons-nous, une nouvelle et cinquième détermination de l’essence même de l’absolu, laquelle, comme réalité de l’être, établit ce que l’on nomme le bien. Ainsi, cette nouvelle détermination de l’absolu, qui dérive immédiatement de la réalité appliquée à l’être lui-même, et qui constitue le bien, est le cinquième principe de la raison, doué de la même infaillibilité. Mais, dans ces déterminations réciproques du savoir par l’être, et de l’être par le savoir, qui établissent respectivement le vrai et le bien, il doit y avoir une transition mutuelle ; c’est-à-dire que la réalité du savoir, qui constitue ainsi le vrai, doit être susceptible d’une fonction équivalant au bien, et que, de même, la réalité de l’être, qui constitue ainsi le bien, doit être susceptible d’une fonction équivalant au vrai. En effet, considérant, comme nous l’avons déjà remarqué plus haut, que la réalité n’est qu’une neutralisation du savoir et de l’être, on verra que, dans les deux déterminations réciproques qui forment le vrai et le bien, il n’entre proprement que ces deux éléments primordiaux, le savoir, et l’être, et l’on concevra que la différence entre ces deux déterminations réciproques consiste tout simplement en ce que, dans l’une de ces déterminations, dans le vrai, prédomine le savoir, et que, dans l’autre de ces déterminations, dans le bien, prédomine l’être ; de sorte que, précisément à cause d’une neutralisation possible du savoir et de l’être dans la réalité, il doit y avoir nécessairement une transition mutuelle entre ces prépondérances respectives, du savoir sur l’être, et de l’être sur le savoir, parce que, d’après la déduction que nous en avons donnée, ces prépondérances respectives, le vrai et le bien, constituent effectivement, l’une, la réalité du savoir, et l’autre, la réalité de l’être. Or, pour ce qui concerne d’abord la réalité du savoir, ou le vrai, il est manifeste à la raison que cette réalité spéciale ne saurait former une fonction qui équivaudrait à la réalité de l’être, ou au bien, qu’autant qu’elle fixerait la possibilité, l’effectivité, ou la nécessité, c’est-à-dire, en général, le mode de la réalité ; car, cette fonction de la réalité du savoir resterait ainsi dans ses propres attributions, dans celles du vrai, et cependant, elle règlerait déjà la réalité de l’être, ou le bien, en rendant cette dernière réalité   possible, effective, ou nécessaire. Ainsi, ce mode (La Modalité est la forme du Vrai) de la réalité, que nous nommerons généralement Dogmes ou Problèmes religieux, forme une nouvelle et sixième détermination de l’essence même de l’absolu ; et par conséquent, les dogmes constituent le sixième principe de la raison, doué toujours d’infaillibilité, comme l’absolu lui-même.

Pour ce qui concerne ensuite la réalité de l’être, ou le bien, il est de même manifeste à la raison que cette deuxième réalité spéciale ne saurait former une fonction qui équivaudrait à la réalité du savoir, ou du vrai, qu’autant qu’elle fixerait la prestation, la privation, ou la limitation, c’est-à-dire, en général, l’essence de la réalité ; car, de nouveau, cette fonction de la réalité de l’être resterait ainsi dans ses propres attributions, dans celles du bien, et cependant, elle règlerait déjà la réalité du savoir ou le vrai, en rendant cette dernière réalité présente, absente ou équivoque. Ainsi, cette essence (L’Essentialité est la forme du Bien) de la réalité, que nous nommerons généralement Préceptes ou Lois morales, forme une nouvelle et septième détermination de l’essence même de l’absolu ; et par conséquent, les lois morales constituent le septième principe de la raison, doué de la même infaillibilité.

Nous avons donc actuellement sept principes de la raison, qui sont autant de principes du savoir suprême ou de la philosophie. Et, si nous considérons que, dans tous ces principes, les deux éléments primordiaux, le savoir et l’être, paraissent dans leurs attributions respectives, sans être combinés ensemble, à l’exception seulement du principe fondamental de réalité, où ces deux éléments se trouvent neutralisés tout à fait, on verra que ces principes de la raison, que nous venons de déduire de l’absolu lui-même, sont les sept principes élémentaires du savoir suprême ou de la philosophie. Bien plus, par suite de ces mêmes attributions élémentaires, attachées aux principes précédents, on concevra que, si l’on écarte encore toute considération de la forme, en s’en tenant d’abord au simple contenu, et si l’on écarte également toute considération d’une action créatrice dans ces déterminations de l’absolu, actions dont nous parlerons après, on concevra, disons-nous, que, dans cette restriction provisoire, il ne saurait exister de déterminations ultérieures de l'essence de l’absolu, pour nous fournir ainsi les principes de la raison, autrement que par la combinaison systématique des trois éléments primitifs, de la réalité, du savoir, et de l’être, en les prenant, soit dans leur pureté primitive, soit dans leur dérivation, qui forme les quatre autres éléments de la raison, le vrai, le bien, les dogmes, et les lois morales. – Nous allons donc, en suivant cet ordre, déduire actuellement, de cette combinaison des éléments, ces déterminations systématiques de l’essence de l’absolu.

Si l’on considère, en premier lieu, les deux éléments primordiaux, le savoir et l’être, dans leur hétérogénéité primitive, ou dans leur opposition de spontanéité et d’inertie, correspondante à l’opposition de l’autogénie et de l’autothésie, dont ces éléments forment les conditions respectives, on conçoit d’abord facilement que, pour la combinaison systématique de ces éléments, il doit exister entre eux une double influence partielle, et nommément, d’une part, l’influence de l’être dans le savoir, et de l’autre, l’influence du savoir dans l’être ; car, ces deux éléments primordiaux sont susceptibles de détermination réciproque, comme nous l’avons vu dans la déduction des Dogmes et des Lois morales.

Or, pour peu qu’on réfléchisse sur la première de ces influences partielles, sur celle de l’être dans le savoir, on reconnaît qu’elle introduit une espèce d’inertie dans la spontanéité du savoir, et qu’elle donne ainsi, en quelque sorte, à ce dernier, au savoir, la fixité de l’être. De cette manière, le savoir, qui, en lui-même, est si éminemment inconditionnel ou libre, se trouve forcé de se revêtir des conditions de l’être, et se trouve alors, à l’instar de l’être, soumis à des lois fixes et déterminées. – Comme tel, le savoir constitue l’esprit de la réalité ; et c’est là notoirement ce que l’on nomme pensée. – Ainsi, cette influence de l’être dans le savoir, qui établit la pensée, est une nouvelle et huitième détermination essentielle de l’absolu ; et par conséquent, la pensée, prise dans l’acception que nous venons de lui assigner est le huitième principe de la raison, doué encore de l’infaillibilité qui est attachée à l’absolu lui-même. Pour peu qu’on réfléchisse de même sur la deuxième de ces influences partielles, sur celle du savoir dans l’être, on reconnaît qu’elle introduit, au contraire, une espèce de spontanéité dans l’inertie de l’être, et qu’elle donne ainsi, en quelque sorte, à ce dernier, à l’être, la variabilité du savoir. De cette manière, l’être, qui, en lui-même, est éminemment conditionnel ou non-libre, se trouve revêtu des attributs du savoir, et se trouve alors, à l’instar du savoir, susceptible de modifications ou de déterminations. – Comme tel, l’être constitue, à son tour, le corps de la réalité ; et c’est là notoirement ce que l’on nomme choses. – Ainsi, cette influence du savoir dans l’être, qui établit les choses, est une nouvelle et neuvième détermination essentielle de l’absolu ; et par conséquent, les choses, prises dans l’acception que nous venons de leur assigner, forment le neuvième principe de la raison, doué également de l’infaillibilité qui est attachée à l’absolu lui-même. Mais, jusqu’ici, dans cette double influence partielle, de l’être dans le savoir et du savoir dans l’être, qui constituent respectivement la pensée et les choses, l’hétérogénéité primitive des deux éléments primordiaux, du savoir et de l’être, est encore le caractère dominant, au point que, dans ces deux influences partielles, chacun des deux éléments primordiaux apparaît distinctement avec toutes ses attributions caractéristiques. De là vient précisément, d’une part, la circonstance de ce qu’il nous a été si facile de concevoir cette double combinaison systématique des éléments primordiaux, et de l’autre, la circonstance de ce que, dans cette combinaison, il n’existe qu’une influence partielle de l’un de ces éléments primordiaux dans l’autre, et non une influence réciproque de ces éléments, dans laquelle leurs attributions respectives se trouveraient, pour ainsi dire, confondues ou mêlées ensemble. Cependant, une telle influence réciproque entre les deux éléments primordiaux, le savoir et l’être, doit exister nécessairement, et doit ainsi former une nouvelle combinaison systématique de ces éléments ; car, dans la réalité de l’absolu, l’être est l’objet du savoir, et le savoir la condition de l’être ; de sorte qu’il doit y avoir, dans ces éléments de la réalité absolue, une véritable prédisposition réciproque de l’un pour l’autre. Néanmoins, l’hétérogénéité de ces deux éléments primordiaux, fondée sur l’opposition qui existe entre la spontanéité du savoir et l’inertie de l’être, subsiste dans toute son intégrité, nonobstant cette prédisposition réciproque de ces éléments ; et de là précisément vient la difficulté qu’il y a, au premier abord, de concevoir une influence réciproque entre les deux éléments primordiaux, le savoir et l’être, de manière à ce que, dans cette combinaison systématique, leurs attributions respectives se trouvent confondues ou mêlées ensemble. L’unique moyen de lever cette difficulté, c’est-à-dire, l’unique moyen de concilier cette indestructible hétérogénéité des deux éléments primordiaux, du savoir et de l’être, avec leur primitive et nécessaire prédisposition réciproque, consiste manifestement en ce qu’il soit établi, entre ces éléments opposés, un accord, ou une espèce d’harmonie. Ainsi, comme cette conciliation entre l’hétérogénéité des deux éléments primordiaux et leur prédisposition réciproque, est indispensablement nécessaire pour l’accomplissement de la raison, on conçoit que cet accord ou ce Concours-final entre les deux éléments primordiaux, entre le savoir et l’être, doit constituer une nouvelle et dixième détermination de l’essence de l’absolu. Or, ce concours-final entre le savoir et l’être, qui introduit dans le dernier, dans l’être, une véritable finalité, c’est-à-dire, comme on dit vulgairement, une subordination de l’être à des causes finales, est notoirement, dans sa plus grande généralité, ce que l’on nomme Finalité (finalité objective = l’ordre, et finalité subjective = le beau et le sublime). Et par conséquent, en la prenant dans cette haute détermination où nous venons de la découvrir, la finalité forme le dixième principe de la raison, doué toujours de l’infaillibilité même de l’absolu, dont il est une des attributions essentielles. Ainsi, nous avons déjà trois combinaisons entre les éléments primordiaux de la réalité absolue, qui nous donnent autant de principes nouveaux, appartenant à la classe des principes systématiques de la raison. Bien plus, le caractère spécial de ces trois combinaisons peut même nous mettre sur la voie de découvrir les autres de ces principes systématiques, s’il en existe encore. En effet, pour peu qu’on examine ces trois combinaisons des deux éléments primordiaux qui viennent de nous conduire à l’établissement de la pensée, des choses, et de la finalité, on reconnaît que leur caractère distinctif consiste dans la diversité systématique qui s’y trouve produite, de tant de manières, entre ces deux éléments, le savoir et l’être ; et l’on reconnaît en outre, qu’il ne saurait plus exister aucune autre manière dont on puisse produire cette diversité entre le savoir et l’être, ou même entre tous les sept éléments que nous avons découverts, car, toute diversité dans ces sept éléments provient originairement de la diversité primitive qui se trouve entre le savoir et l’être, et celle-ci, considérée systématiquement, est déjà, comme cela est évident, tout à fait épuisée dans les trois combinaisons précédentes dont il s’agit. Il s’ensuit donc immédiatement que, s’il existe encore quelque autre combinaison entre nos sept éléments, elle ne saurait plus porter que sur l’identité systématique qui se trouverait entre ces éléments. – Ainsi, c’est à la considération de cette identité que nous allons procéder actuellement, ou en second lieu, d’autant plus que ce n’est que par une telle identité systématique, établie entre les éléments, que nous pourrons, avec perfection, accomplir le système des principes de la raison, en les ramenant, dans cette identité, vers le principe unique et fondamental, celui de réalité absolue, duquel tous ces principes sont dérivés. Or, si l’on examine d’abord les trois éléments primitifs, la réalité, le savoir et l’être, et si l’on néglige la considération du premier de ces éléments, de la réalité, comme n’étant qu’une simple neutralisation des deux autres, du savoir et de l’être, et comme n’offrant ainsi aucun terme de comparaison qui soit fixé pour l’identité systématique en question, on voit que ces deux autres éléments primitifs, le savoir et l’être, repoussent ouvertement, par leur hétérogénéité essentielle, toute combinaison d’identité systématique qu’on voudrait établir entre ces deux éléments. Tout ce qu’il était possible de faire pour concilier, en quelque sorte, ces deux éléments opposés c’était d’établir entre eux, une espèce d’accord ou d’harmonie, qui constitue la finalité et forme le dixième principe de la raison. Mais, pour en venir jusqu’à une véritable identité entre ces deux éléments primordiaux, on voit que leur hétérogénéité est tellement prononcée que, non-seulement elle repousse, sous cet aspect, une combinaison immédiate de ces deux éléments, mais de plus nous fait craindre qu’une pareille combinaison d’identité ne soit impossible même parmi les quatre éléments dérivés, le vrai, le bien, les dogmes, et les lois morales, par la raison que cette hétérogénéité primitive et si fortement prononcée, doit se soutenir dans ces éléments dérivés. Toutefois, si l’on considère l’identité primitive qui a lieu dans l’essence même de l’absolu ; car, la fixité qui, dans l’absolu, constitue l’être, comme nous l’avons vu plus haut, n’est rien autre que le résultat de cette identité permanente de l’absolu, on est rassuré sur la crainte de ne trouver aucune combinaison d'identité entre les éléments dérivés, auxquels nous sommes forcés de recourir, par suite de l’impossibilité que nous venons de reconnaître pour une pareille combinaison entre les éléments primitifs. Et cette découverte d’une combinaison d’identité entre les éléments de l’absolu, n’importe lesquels, qui était déjà si importante pour l’accomplissement systématique de la raison, devient actuellement d’autant plus désirable que nous voyons que cette combinaison en question serait fondée sur l’identité primitive elle-même de l’absolu, identité qui constitue son essence la plus intime, et qui, reparaissant ainsi dans la combinaison systématique que nous cherchons, nous montrerait, avec clarté, cette intime essence de l’absolu. Heureusement, et même sans avoir besoin de nous livrer ici à de nouvelles considérations, ce que nous avons reconnu plus haut concernant la nécessité d’une transition mutuelle entre les deux éléments dérivés immédiats, c’est-à-dire, entre le vrai et le bien, nous conduit directement à la découverte de cette importante identité systématique qu’il nous reste à établir entre les éléments de l’absolu. En effet, lorsqu’on approfondit bien cette nécessité d’une transition entre ces éléments dérivés immédiats, entre le vrai et le bien, qui sont manifestement les deux éléments universels de ce système de réalité absolue, parce qu’ils réunissent en eux l’élément fondamental, la réalité, et les deux éléments primordiaux, le savoir et l’être, qui se trouvent neutralisés dans cet élément fondamental ; lorsqu’on approfondit, disons-nous, cette nécessité d’une transition mutuelle entre ces deux éléments universels, le vrai et le bien, nécessité qui nous a fait découvrir les deux éléments transitifs, les dogmes et les lois morales ; on reconnaît qu’au moyen de la réalité qui est contenue dans chacun des deux éléments universels, dans le vrai et dans le bien, et qui opère la neutralisation des deux éléments primordiaux, du savoir et de l’être, qui y sont également contenus, il existe effectivement une identité ou une parité-coronale entre ces deux éléments universels, entre le vrai et le bien, parité qui est ainsi la reproduction systématique de cette identité primitive qui a lieu dans l’absolu lui-même, et qui constitue son essence la plus intime. Ainsi, cette identité systématique, ou cette parité-coronale, qui existe entre le vrai et le bien, et qui, lorsqu’elle est accomplie, constitue notoirement ce que l’on nomme le Monde (Œuvre créé), est une nouvelle et onzième détermination de l’essence même de l’absolu. Et par conséquent, en le considérant sous le double aspect, de l’accomplissement systématique de la raison, et de la manifestation immédiate de l’intime essence de l’absolu, comme nous venons de le reconnaître, le monde est le onzième principe de la raison, doué naturellement de toute l’infaillibilité de l’absolu lui-même. Nous possédons maintenant déjà, dans les résultats précédents, le système, tout accompli, des principes de la raison. – En résumant ces résultats, nous voyons que ce système absolu est composé de sept principes élémentaires, la réalité, le savoir, l’être, le vrai, le bien, les dogmes et les lois morales, et de quatre principes systématiques, la pensée, les choses, la finalité (objective : l’ordre, et subjective : le beau et le sublime), et le monde ou (Œuvre créé). Nous savons de plus que, parmi les sept principes élémentaires, il existe trois principes primitifs, la réalité, le savoir et l’être, et quatre principes dérivés, le vrai, le bien, les dogmes, et les lois morales ; et que, parmi les trois principes primitifs, le premier, la réalité est le principe fondamental, et les deux autres, le savoir et l’être, sont les deux principes primordiaux ; et de même, que parmi les quatre principes dérivés, les deux premiers, le vrai et le bien, sont les deux principes universels, et les deux derniers, les dogmes et les lois morales, sont les deux principes transitifs. Nous savons également que, parmi les quatre principes systématiques, les trois premiers, la pensée, les choses, et la finalité (l’ordre et le beau) constituent la diversité systématique qui existe dans les deux éléments primordiaux, et le dernier, le monde (œuvre créé), constitue l’identité systématique qui existe dans les deux éléments universels, moyennant l’élément fondamental ; et que, parmi les trois principes systématiques qui combinent la diversité des éléments, les deux premiers, la pensée et les choses, n’offrent qu’une influence partielle de l’un dans l’autre, des deux éléments primordiaux, et le troisième la finalité, offre une influence réciproque de ces éléments primordiaux, en préparant ainsi la clôture du système ; et enfin, que le quatrième et dernier principe systématique, le monde, qui reproduit, dans la combinaison des deux éléments universels, l’identité primitive qui a lieu dans l’essence même de l’absolu, accomplit définitivement ce système des principes de la raison, en rendant manifeste l’intime essence de l’absolu lui-même. Tel est donc, nous le répétons, dans les bornes où nous nous sommes renfermés d’abord, le système complet des principes de la raison, qui, comme nous l’avons déjà remarqué plusieurs fois, sont nécessairement les principes du savoir-suprême ou de la philosophie.


Nota pour la lecture de l'Apodictique

 

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